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11/06/2021 | FRANCE | N°2021-917

France | France, Conseil constitutionnel, 11 juin 2021, 2021-917


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 avril 2021 par le Conseil d'État (décision n° 449040 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique par Mes Roger Koskas et Nil Symchowicz, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-917 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit

du paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juil...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 avril 2021 par le Conseil d'État (décision n° 449040 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique par Mes Roger Koskas et Nil Symchowicz, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-917 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ;
- l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique, prise sur le fondement de l'habilitation prévue à l'article 10 de la loi du 6 août 2019 mentionnée ci-dessus, dont le délai est expiré ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'union requérante par Me Symchowicz, enregistrées le 26 avril 2021 ;
- les observations présentées par l'association des DRH des grandes collectivités territoriales, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 27 avril 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 avril 2021 ;
- les observations présentées par l'association nationale de médecine professionnelle des personnels territoriaux, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 29 avril 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Rachid Brihi, avocat au barreau de Paris, pour l'union requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 1er juin 2021 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 7 juin 2021 ;
- la note en délibéré présentée par l'association des DRH des grandes collectivités territoriales, enregistrée le 8 juin 2021 ;
- la note en délibéré présentée pour l'union requérante par Me Symchowicz, enregistrée le 9 juin 2021 ;
- la note en délibéré présentée par l'association nationale de médecine professionnelle des personnels territoriaux, enregistrée le même jour ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 novembre 2020 mentionnée ci-dessus, détermine les conditions dans lesquelles le fonctionnaire en activité peut bénéficier d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service. Son paragraphe VIII prévoit :
« Nonobstant toutes dispositions contraires, peuvent être communiqués, sur leur demande, aux services administratifs placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision et dont les agents sont tenus au secret professionnel, les seuls renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis par le présent article ».

2. L'union requérante, rejointe par les autres parties, soutient que ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée ainsi que la protection des données à caractère personnel, et qu'elles seraient entachées d'incompétence négative. En effet, selon elles, ces dispositions autoriseraient des services administratifs à se faire communiquer des données médicales, sans déterminer les agents autorisés à formuler ces demandes, ni le champ des pièces et des informations dont ils peuvent recevoir la communication, ni prévoir de garanties suffisantes. L'union requérante relève sur ce dernier point qu'aucun contrôle n'intervient sur les demandes de communication et que les destinataires de ces demandes n'ont pas le pouvoir de s'y opposer. Elle soutient également que le droit d'accès aux données médicales des agents publics institué par ces dispositions ne serait ni nécessaire ni justifié, dès lors que l'administration n'a pas besoin d'accéder à ces informations médicales pour se prononcer sur les demandes de congé pour invalidité temporaire imputable au service.
- Sur le fond :
3. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale.
4. L'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 prévoit que, lorsque son incapacité de travail est consécutive à un accident ou à une maladie reconnus imputables au service, le fonctionnaire a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service, durant lequel il conserve l'intégralité de son traitement, jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite, et peut bénéficier du remboursement des divers frais médicaux entraînés par l'accident ou la maladie.
5. Les dispositions contestées autorisent des services administratifs à se faire communiquer par des tiers les données médicales d'un agent sollicitant l'octroi ou le renouvellement d'un tel congé, afin de s'assurer que l'agent public remplit les conditions fixées par la loi pour l'octroi de ce congé et, en particulier, qu'aucun élément d'origine médicale n'est de nature à faire obstacle à la reconnaissance de l'imputabilité de l'accident ou de la maladie au service. En outre, cette communication peut se faire « nonobstant toutes dispositions contraires », c'est-à-dire sans que le secret médical puisse être opposé.
6. En dotant l'administration de moyens de s'assurer que l'ouverture de ce droit à congé est conforme aux conditions légales, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics.
7. Toutefois, les renseignements dont les services administratifs peuvent obtenir communication des tiers sont des données de nature médicale, qui peuvent leur être transmises sans recueillir préalablement le consentement des agents intéressés et sans que le secret médical puisse leur être opposé.
8. Or, d'une part, ce droit de communication est susceptible d'être exercé par les « services administratifs » placés auprès de l'autorité à laquelle appartient le pouvoir d'accorder le bénéfice du congé. Ainsi, en fonction de l'organisation propre aux administrations, ces renseignements médicaux sont susceptibles d'être communiqués à un très grand nombre d'agents, dont la désignation n'est subordonnée à aucune habilitation spécifique et dont les demandes de communication ne sont soumises à aucun contrôle particulier.
9. D'autre part, les dispositions contestées permettent que ces renseignements soient obtenus auprès de toute personne ou organisme.
10. Dès lors, ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
11. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le paragraphe VIII de l'article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juin 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 11 juin 2021.


Synthèse
Numéro de décision : 2021-917
Date de la décision : 11/06/2021
Union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique [Accès aux données médicales des fonctionnaires lors de l'instruction des demandes de congé pour incapacité temporaire imputable au service]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 11 juin 2021 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 11 juin 2021 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2021-917 QPC du 11 juin 2021
Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2021:2021.917.QPC
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